Comme évoqué dans notre article sur la TVA immobilière, le champ d’application de la TVA sur les ventes immobilières est assez restreint et ne concerne en pratique que les cédants professionnels.
Mais aussi simple qu’elle soit, la TVA sur les cessions immobilières ne s’applique pas nécessairement dans les conditions de droit commun (c’est-à-dire sur le prix total), et peut ne s’appliquer que sur la seule marge brute bénéficiaire (ci-après désignée par « la marge »).
Notre partenaire, le cabinet Fleuret Associés, fait le point pour nous sur ce régime.
Comment bénéficier du régime de la marge ?
Pour bénéficier du régime de la marge, il faut, aux termes de l’article 268 du CGI, que la condition suivante soit remplie : « S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir […], l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée », étant précisé que les ventes d’immeubles bâtis et achevés depuis moins de 5 ans ne sont, en toutes circonstances, pas éligibles.
Un tel régime favorable au contribuable résulte du fait que le législateur est finalement assez sensible aux rémanences de TVA, et un peu contraint aussi par la législation européenne qui oblige les Etats à respecter le principe de neutralité de la TVA pour les entreprises assujetties.
Comment est-elle calculée ?
Cette marge brute est déterminée par différence entre le prix de cession exprimée dans l’acte de vente et le prix d’acquisition du bien revendu, coûts directs liés à l’acquisition ajoutés.
Les « frais de notaire » et les « frais d’agence » impactent notamment la marge brute, à l’inverse des travaux intercalaires à la revente (rénovation, réhabilitation…) qui, mince consolation, réduisent la TVA due sur la marge brute, de la TVA qui a grevé ces dépenses.
Cette TVA à reverser par le vendeur, est déductible par l’acquéreur si ce dernier affecte le bien à une activité qui ouvre droit à déduction de la TVA.
Quand le régime de la marge est-il appliqué ?
Ainsi, le régime de la marge s’applique en pratique aux cas suivants :
- Acquisition d’un terrain non bâti auprès d’un particulier ou d’un terrain inconstructible auprès d’un professionnel qui n’a pas opté pour le paiement de la TVA[1], et revente du terrain en qualité de terrain à bâtir ;
- Acquisition d’un immeuble bâti achevé depuis plus de 5 ans auprès d’un particulier ou auprès d’un professionnel qui n’a pas opté pour le paiement de la TVA, et revente sans travaux significatifs et avec option pour le paiement de la TVA.
Une « incertitude » demeure dans le cas de l’acquisition d’un immeuble bâti achevé depuis plus de 5 ans auprès d’un particulier ou auprès d’un professionnel qui n’a pas opté pour le paiement de la TVA, et qui est revendu en qualité de terrain à bâtir, qu’il résulte de la destruction des constructions existantes au moment de l’acquisition ou d’une division parcellaire du terrain non pourvu des constructions[2].
Malgré un texte clair : « le régime de la marge si l’acquisition n’a pas ouvert droit à déduction », ce que confirme de nombreuses juridictions administratives, la doctrine administrative exclut ce régime favorable lorsque le bien revendu n’est pas identique au bien acquis, au sens de sa qualification juridique[3].
Et le Conseil d’Etat [4][5] semble se ranger à l’avis de l’administration, mais il a pris soin de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle enregistrée sous le numéro C-299/20 pour les terrains devenus à bâtir (en dépit de la doctrine favorable[6]) ou qui ont fait l’objet d’une modification de leurs caractéristiques (division en lots[7]).
Dans l’attente de l’avis de la CJUE, le Conseil d’Etat annule et renvoie toute décision des cours administratives d’appel qui se présente à lui et qui serait favorable au contribuable.
Qu’en est-il pour une cession d’un terrain à bâtir qui n’était pas un terrain nu au moment de son acquisition ?
Adopter la position « défavorable » est évidemment la solution la plus prudente. Mais si la CJUE confirmait l’application du régime de la marge, la récupération de la TVA indûment versée se heurterait alors à deux écueils :
- La prescription du droit de contestation qui expire au 31 décembre de la 2ème année qui suit celle du paiement de l’impôt, la décision de la CJUE n’étant pas de nature à ouvrir un nouveau délai de réclamation ;
- Le fait que la TVA ait été « facturée » dans l’acte et qu’elle est dès lors due par le cédant d’une part et restituable indirectement mais normalement à l’acquéreur d’autre part.
Encore une fois, le droit fiscal français met les professionnels à rude épreuve en les plongeant dans une incertitude qui les poussent soit, à porter un risque fiscal d’obérer leur marge d’une TVA sur le prix total s’ils ont fait le choix d’une TVA sur la marge bénéficiaire soit, à majorer leur prix de cession d’une TVA sur le prix total qui n’était pas à payer…
Et cette situation est d’autant plus regrettable que le texte qui semble clair, concerne des opérations de revente après destruction, division parcellaire ou lotissement, finalement assez fréquentes.
[1] Rép. Grau : AN 27-4-2021 no 35554
[2] Rép. Vogel : Sén. 17-5-2018 n° 4171, Rép. Falorni : AN 24-9-2019 n° 1835
[3] BOI-TVA-IMM-10-20-10 n° 20
[4] CE 27-3-2020 n° 428234, SARL Promialp
[5] CE 3e-8e ch. 25-6-2020 no 416727, Sté Icade Promotion Logement, cf. aussi CAA Lyon 18-3-2021 n° 19LY00501
[6] Rép. Grau : AN 27-4-2021 no 35554
[7] Rép. Bussereau : AN 20-9-2016 n° 96679