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Les nouveaux taux ravivent la colère des courtiers qui jugent la hausse insuffisante. Les banques semblent moins alarmistes et modèrent l’impact sur la production de crédit immobilier.
Trop peu, trop tard. Voici comment les courtiers ont accueilli la publication au Journal Officiel (JO) des nouveaux taux d’usure, applicables dès ce vendredi 1er juillet pour le troisième trimestre 2022 (voir ci-dessous).
Les critiques se concentrent surtout sur celui des crédits immobiliers à taux fixe de 20 ans et plus, qui est passé de 2,40% au deuxième trimestre à 2,57%. Une hausse de 0,17 points jugée dérisoire compte tenu de l’augmentation des taux d’intérêt. «C’est la hausse qu’il aurait fallut il y a trois mois, tacle Jean-Baptiste Monié, dirigeant de Carte Financement. Les nouveaux barèmes des banques indiquent déjà des hausses de 0,3 point pour certaines. La Banque de France aura toujours un train de retard car ses chiffres ne reflètent pas la réalité du marché !».
Depuis plusieurs mois, les courtiers multiplient les alertes, notes, prises de parole, pour dénoncer un effet ciseau sur le marché du crédit immobilier. Ils dénoncent la faiblesse des taux d’usure et leur décrue continue ces derniers trimestres, à contre-courant de l’augmentation parallèle des taux d’intérêt. «La plupart des banques ont augmenté leurs taux de 0,50 point mais jusqu’à 0,75 point pour certaines», appuie Sandrine Allonier, directrice des études de Vousfinancer. Deux tendances opposées qui ont pour conséquence de faire augmenter les refus de financement.
Le marché est unanime : la cause de tous les maux est la méthode de calcul du taux d’usure. La Banque de France se base sur les taux d’intérêt pratiqués par les banques sur le dernier trimestre. Mais seuls les crédits dont les fonds ont été décaissés ou engagés sont comptabilisés. En découle donc un décalage de plusieurs mois avec le marché, de six à neuf mois selon Cafpi, alors qu’en parallèle, la hausse des taux
d’intérêt s’accélère. Les banques actualisent à présent leurs barèmes toutes les deux semaines et non plus tous les mois tant leur situation devient compliquée. Des chiffes en décalage avec le marché. Bloquées par le taux d’usure, elles ne peuvent répercuter la hausse de leurs propres coûts de refinancement dans les crédits immobilier des particuliers. Ce qui pourrait sonner comme une bonne nouvelle pour les Français est en réalité source de complications pour les ménages qui veulent emprunter. L’accès au crédit est rendu plus complexe et certains emprunteurs sont exclus du crédit bancaire. Chez Cafpi, un dossier sur cinq est désormais rejeté pour cause de dépassement du taux d’usure, «un garde-fou devenu fou», cingle son dirigeant Olivier Lendrevie. «Le taux d’usure est un sujet de préoccupation marginal (…) Les contraintes du HCSF sont plus contraignantes.»
Pendant un temps, les courtiers ont caressé l’espoir que le Banque de France revoit sa méthode de calcul. Entre discussions à portes closes, rumeurs, démenti, les dernières semaines ont donné lieu à une cacophonie générale dont quasiment rien n’est sorti. Pourtant, à un moment, Bercy semblait en passe de lâcher du lest. Lors d’une réunion avec la Fédération bancaire française (FBF), le Ministère de l’économie s’est dit «ouvert à l’évolution» de la méthodologie de calcul et a assuré «travailler à des solutions rapides pour prendre en compte l’impact de la remontée des taux sur les taux d’usure». Las, sa bonne volonté aura fait long feu. Aucun changement n’a été apporté dans les taux du troisième trimestre. Un immobilisme annoncé mais qui a tout de même provoqué l’ire des courtiers.
Pourquoi Bercy a opté pour le statu quo ?
Tant de bruit donc pour aucun changement. Il faut dire que le sujet est compliqué et
éminemment politique. La méthode de calcul du taux d’usure étant inscrite dans la loi,
son évolution aurait nécessité un passage au Parlement. Une option inenvisageable
compte tenu de la situation à l’Assemblée nationale. De plus, alors que les Français se
battent avec une inflation lancée au galop (5,8% en juin selon une estimation provisoire
de l’Insee), notamment sur l’énergie et certains produits de consommation quotidienne,
le gouvernement sait qu’il marche sur des oeufs. Augmenter le taux d’usure permettrait
aux banques d’augmenter leurs taux d’intérêt. Si la nécessité de la hausse se justifie par
la réalité économique du marché du crédit, le message a de fortes chances de mal
passer auprès des Français. «Alors que le pouvoir d’achat est la préoccupation majeure
du moment, nous anticipions que le gouvernement n’accepterait pas une mesure qui
puisse être défavorable aux ménages», souligne le directeur d’une agence
bancaire parisienne (réseau mutualiste).
Mais si Bercy a fermé la porte à une refonte massive du taux, c’est aussi parce que,
pour le Ministère, tout va bien. Lors d’une conférence de presse tenue ce jeudi 30 juin,
François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, a affirmé qu’il n’y a
pas de problème systémique d’accès au crédit. «Certains courtiers ont parlé d’un effet
d’exclusion des emprunteurs immobiliers qui serait associé au taux de l’usure.
Objectivement, nous ne voyons pas cela», a-t-il assuré. Il appuie ses propos sur la
production de crédit immobilier : +6,5% en rythme annuel. Selon la Banque, elle devrait
atteindre 26 milliards d’euros en mai, contre 25,9 milliards en avril.
Comment expliquer ce décalage avec les chiffres des courtiers, qui martèlent que les
rejets de dossiers de crédit explosent de leur côté ? «La Banque de France ne
comptabilise que les fonds décaissés, éclaire Bruno Rouleau. Le problème du taux
d’usure a commencé à se faire sentir au mois de mars. Or, comme le décaissement se
Tous fait au fur et à mesure du débouclage des dossiers, cette méthode induit un décalage
avec ce que nous percevons du marché et qui ne se traduira que d’ici septembre dans
les chiffres de la Banque de France». Une bonne raison… Sauf que du côté des banques, le discours est également moins alarmiste.
Les banques moins alarmistes que les courtiers
«Le taux d’usure est un sujet de préoccupation marginal, les refus sont loin d’être un
phénomène massif, relativise le directeur d’agence bancaire, qui parle pour son réseau
et précise que sa clientèle de son agence a plutôt un profil patrimonial. Les contraintes
du HCSF sont plus contraignantes et ont davantage rigidifié le marché du fait de
l’exclusion du reste à vivre dans les critères retenus». Du côté de la FBF, on se
dit toujours dans l’optique de «dialoguer avec les pouvoirs publics» et «sensible à ce
que le dispositif de l’usure (…) ne devienne pas une mécanique d’exclusion des
ménages pour financer leurs projets solvables». Si le commentaire de la Fédération
montre qu’elle est consciente de la problématique, sa douceur tranche avec le ton
alarmiste des courtiers. Une différence que certains expliquent par des enjeux de
posture. «Les banques se tireraient une balle dans le pied si elles disaient qu’elles ne
peuvent plus prêter car le crédit immobilier reste un de leurs principaux produits d’appel
», analyse un professionnel du secteur. De leur côté, les courtiers ont tout intérêt à tirer
le signal d’alarme très vite car de premières banques ont déjà annoncé arrêter
temporairement le recours au courtage pour le crédit immobilier ( Société Générale et
Crédit du Nord).
«Les banques se tireraient une balle dans le pied si elles disaient qu’elles ne
peuvent plus prêter car le crédit immobilier reste un de leurs principaux produits
d’appel»
Les courtiers en feraient-ils donc trop ? «Les banquiers peuvent avoir une vision
différente car ils n’ont pas l’information, défend Jean-Baptiste Monié. Les courtiers
effectuent un filtre et ne leur communiquent que les dossiers qu’ils sont sûrs de pouvoir
faire valider.» Sans oublier ceux qui ne rentrent pas dans le canal de validation des
banques et qui sont rejetés après une simple simulation rapide. «Personne ne va
s’embêter à remplir de la paperasse pour un dossier qui sera à tous les coups refusé»,
tâcle un courtier.