Dès lors que les parts sociales d’une entreprise sont détenues par au moins deux personnes, des règles s’imposent aux associés lorsqu’ils se séparent des titres qu’ils possèdent. Qu’il s’agisse d’une cession ou d’une donation, les statuts de l’entreprise prévoient des clauses dites d’agrément et de préemption : celui qui souhaite céder ses titres, les propose d’abord aux autres associés. Il ne peut pas leur imposer son choix. Si les associés ne préemptent pas, cela ne veut pas dire que la voie est toute tracée. Ils doivent donner leur accord pour accueillir le nouvel associé. Et dans le cas d’une donation, cet agrément est clé pour que l’opération puisse se réaliser. Cession comme donation demandent donc de respecter un formalisme à l’attention des autres associés.
Les clauses d’agrément et de préemption
Pas de panique ! “Les statuts de l’entreprise livrent le mode d’emploi avec toutes les procédures à suivre par l’associé cédant vis à vis de ses co-associés : le projet de cession, l’identité de l’acquéreur, le prix de cession, les conditions de l’opération…”, rassure Guillaume Charvet, avocat au barreau de Paris. Et puis s’informer des dispositions prises est assez aisé. Les statuts sont publics et consultables par tous. Il faut toutefois avoir en tête qu’il y a de plus de chance de trouver ce type de clause dans des structures comme les SARL, que dans celles comme les SAS. En effet, la rédaction des statuts de ces dernières est “plus souple en terme de rédaction car on est plus proche d’un contrat que d’un statut réglementaire, relève l’expert. On peut ne pas voir de clauses d’agrément et de préemption”.
La présence de telles clauses n’apporte pas une totale certitude sur ce qui convient de respecter. En effet, une partie des associés peut avoir conclue un pacte. Contrairement aux statuts, ces derniers ne sont pas librement consultables. Il s’agit d’un acte sous-seing privé confidentiel, dans lequel les parties peuvent avoir pris des dispositions créant des formes ou obligations, complémentaires ou différentes des statuts pour encadrer la cession ou la donation de titres. C’est un point de vigilance à avoir pour tout cédant. Faute d’avoir pris connaissance de ce que prévoit cet accord entre associés, son opération peut être caduque.
La cession de titres cotés
La vente de titres pour une entreprise cotée en Bourse est assez facile. Le paramètre déterminant est la liquidité, c’est-à-dire le volume d’échange entre les acheteurs et les vendeurs. Si les uns ou les autres viennent à manquer, plusieurs risques voient le jour : un délai rallongé pour trouver un acquéreur ou un vendeur, une hausse plus forte du prix des parts si l’offre est rare, et inversement une baisse importante si la demande fait défaut. C’est à peu près la seule contrainte forte quand la quantité cédée est résiduelle et que le nouveau détenteur détient un faible pourcentage du capital. Par contre, dès lors qu’il franchit des seuils comme 5% ou 10% de détention, il doit informer les marchés financiers et en premier lieu l’Autorité des marchés financiers. En cas d’une cession massive de titres, cette dernière peut même décider une suspension de cotation, le temps que l’opération se réalise. Et c’est sans compter sur l’Autorité de la concurrence qui a aussi son mot à dire en matière de concentration d’activités dans les mêmes mains. Là aussi, une autorisation peut être nécessaire.
La cession de titres non cotés
La détention de titres non cotés ne suit pas ces règles, exceptée celle de la concentration. Pour une raison simple que rappelle Guillaume Charvet : “le private equity est graduel, il faut trouver un acquéreur”. Ici les clauses d’agrément et de préemption jouent à plein dans l’encadrement de la procédure. Mais un autre sujet peut poser plus de difficultés en comparaison avec le coté : la valeur de l’entreprise. Pour l’avocat au barreau de Paris, “c’est un jeu d’équilibre. Celui qui présente l’opération doit proposer un prix dans le marché. S’il est trop cher, les autres associés ne vont pas reprendre ses parts. S’il est très peu cher, ils vont préférer acheter sur cette valeur-là, à ses dépens”. Là encore, une réponse peut se trouver dans les statuts avec la présence d’une clause “Buy or Sell”. Lorsque l’associé cédant a identifié un acquéreur, il annonce le prix de cession. “Pour ce prix annoncé, les associés acceptent l’opération ou bien achètent les parts pour le moment souhaité”, explique le professionnel du droit.
La garantie actif-passif
Reste à trouver la bonne évaluation de la valeur de l’entreprise. Si les associés ne tombent pas d’accord, ils peuvent saisir la justice qui nommera un expert indépendant pour déterminer ce que valent les parts selon lui. Plusieurs méthodes existent, toutes sont perfectibles. Cependant, celle de la valorisation en fonction de l’actif net séduit beaucoup. Elle n’est pas parfaite car elle ne prend pas en compte le rôle de l’associé vendeur dans le soutien à l’activité de l’entreprise. Peut-être que sa sortie et donc son départ du management entraînera une baisse du chiffre d’affaires, ou pas. De même, plusieurs facteurs inclus dans l’actif net peuvent dégrader ou bonifier la valeur réelle de l’entreprise. Parmi les bonifications, il y a éventuellement l’immeuble acquis par l’entreprise. Si comptablement il peut valoir zéro, car il est totalement amorti, son prix de cession peut lui rapporter plusieurs millions d’euros.
C’est pourquoi tout acte de cession de titres s’accompagne d’une garantie dite “actif-passif”. “Le vendeur garantit à l’acheteur que l’actif et le passif de l’entreprise sont exacts, détaille Guillaume Charvet. Il assure qu’il n’y a pas d’élément surévalué, que les créances indiquées comme recouvrables le sont effectivement, et pour le montant indiqué. S’il y a un risque fiscal, un risque social, un risque prud’homal, un risque de contentieux commercial, il confirme le passage d’une provision au bilan.” Il en va de même pour les immobilisations, les machines, les brevets, les fonds de commerce… Il engage sa responsabilité sur les montants de valorisation pris en compte. De son côté, l’acheteur n’a pas de garantie à apporter, y compris avec un financement au moyen d’un prêt bancaire. Une exception : le crédit-vendeur. Là, il doit apporter des cautions personnelles, voire accepter le nantissement des parts. S’il ne rembourse pas, les titres acquis à crédit redeviennent la propriété du vendeur.
La fiscalité de la cession de titres
Quel que soit le type de cession, les procédures juridiques et fiscales sont identiques. Ainsi, si l’opération génère une plus-value, celle-ci est soumise à l’impôt sur le revenu au barème progressif ou bien au prélèvement forfaitaire unique de 30% : 12,8% pour la taxe sur la plus-value mobilière et 17,2% pour les prélèvements sociaux. Si ces titres ont été acquis avant 2017, il existe un abattement selon la durée de détention : 50% après deux ans, et 65% après huit ans. Notez que ce principe s’applique si la détention des titres a été opérée par un compte-titres classique. La facture fiscale peut être allégée en utilisant un plan d’épargne en actions (PEA) et son petit frère dédié aux PME, le PEA-PME. De la sorte, il est possible d’avoir une exonération partielle des gains acquis après une période de détention de l’enveloppe au-delà de 5 ans. Seuls les prélèvements sociaux sont dus.
La donation de titres
L’associé sortant peut préférer, à la cession, la donation de ses parts. Ce choix correspond à une volonté de transmettre son patrimoine à ses descendants, son conjoint… Avant de procéder à l’opération, outre l’accord des associés sur l’identité du ou des bénéficiaires, il convient de vérifier l’existence d’un pacte Dutreil. Si c’est le cas, “il peut y avoir des plus-values en report éventuelles qui sont alors neutralisées”, précise l’avocat. Passé ce sujet, reste à savoir s’il vaut mieux donner en pleine propriété, en nue-propriété ou en usufruit.
“Les donations en pleine propriété dans le cadre d’une transmission de patrimoine ne sont pas toujours le plus efficace fiscalement”, prévient Guillaume Charvet. Mieux vaut opter pour la donation de la nue-propriété des titres. En effet, au décès de l’actuel associé, les ayant-droits détenant déjà la nue-propriété, récupèrent l’usufruit sans générer des droits de succession supplémentaires. Attention, plus l’âge du donateur avance, plus le poids de la nue-propriété est important. Il est préférable de mener une telle opération pas trop tardivement. Par exemple à 50 ans, sa valeur est équivalente à celle l’usufruit. Les droits de succession portent alors sur seulement la moitié de la valeur des parts, contre la totalité pour la pleine propriété.
Dans le cas d’une donation de parts sociales démembrées, nue-propriétaire et usufruitier ont le statut d’associé. A ce titre, tous deux participent à l’assemblée générale annuelle, mais ne vont pas voter sur les mêmes sujets. “Le nu-propriétaire ne peut s’exprimer que sur le capital de l’entreprise, annonce l’avocat du barreau. En cas de vente de l’actif de l’entreprise, c’est lui qui récupère la part du capital qui lui revient, sauf disposition particulière entre lui et l’usufruitier”. Pour sa part, l’usufruitier, avec ses droits à l’usage et aux fruits, “va voter sur l’affectation du résultat. S’il y a une distribution de dividende, c’est lui qui en est le bénéficiaire.”
Donation d’usufruit temporaire
Les donations temporaires d’usufruit se font plus rarement depuis la fin de l’impôt de solidarité sur la fortune. C’était l’usufruitier qui en était redevable. “Elles restent intéressantes pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, et notamment pour les contribuables à la tranche marginale la plus élevé du barème d’imposition : 49%”, souligne l’expert en droit. Ce type de donation permet de donner des revenus non utilisés à ses enfants de manière temporaire, à une association, ou encore à une donation. De la sorte, les montants concernés sont taxés. Dans le cas des enfants, ils constituent un apport de liquidité utiles face à des revenus faibles et une fiscalité moindre. Un contexte important : “le choix de la donation d’usufruit temporaire ne doit pas être uniquement dans un intérêt fiscal”, insiste Guillaume Charvet. Pour les associations et les fondations, l’utilité tient en l’allocation d’actifs financiers pour qu’elles mènent à bien leurs missions et projets. “Il n’y a pas d’avantage fiscal pour le donateur qui renonce aux revenus attribués par l’usufruitier”, tient-il à souligner également.