Les bobos, les fameux « bourgeois bohèmes », ont fait une OPA sur le cœur des grandes villes. Ce phénomène a été décrit dès 2000 par le journaliste new-yorkais David Brooks dans son livre «Bobos In Paradise : The New Upper Class and How They Got There». Ce changement sociologique a des conséquences multiples, notamment politiques et économiques. Ainsi, les politiques urbaines promues par les municipalités depuis l’avènement des bobos diffèrent des mesures traditionnelles d’urbanisme de la droite et de la gauche.
Qui sont les bobos, si souvent brocardés ?
Quoiqu’un peu flou, le concept de bobo est en général associé à certains marqueurs :
- Un groupe politique influent, qui a contribué à l’émergence de la gauche à Paris, à Berlin et San Francisco,
- Un rejet des codes sociaux traditionnels de la classe dirigeante (automobile, cravate, pratique religieuse,),
- Un goût manifeste pour l’écologie (Fair Trade, compost, locavorisme, etc.)
- Et une volonté collective de réinventer la ville pour qu’elle soit humaine et conviviale. Ils aiment vivre dans un « village ».
Les bobos, qui ont succédé aux yuppies, se recrutent dans certains terreaux spécifiques, comme les artistes, les journalistes, les architectes, les publicitaires, les graphistes, les enseignant d’université. Ce sont plus globalement tous les travailleurs connectés de l’économie de l’information. Ils sont diplômés et disposent souvent un compte dans une banque en ligne.
Gilles Saint-Paul est économiste à la Paris School of Economics. Il est aussi Global University Professor à la New York University à Abu Dhabi. Il considère que ce phénomène reflète le basculement structurel vers des activités liées à l’économie de la connaissance, telles que la culture, les loisirs, la conception, la recherche et les services intellectuels. Les bobos se distinguent ainsi de la bourgeoisie issue de l’ancienne économie, pré-digitale.
Sur le plan des politiques urbaines, cela se traduit concrètement par une augmentation de la qualité des aménités urbaines au détriment de l’efficacité des transports. Ils prônent :
- La guerre aux automobilistes (rue piétonne, stationnement payant de plus en plus cher, etc.),
- Des transports collectifs comme le tramway ou la voiture électrique partagée,
- L’usage de la bicyclette, y compris en libre-service,
- Des zones dédiées aux skate-boards, roller skates, …
- Une politique de mixité sociale, avec le maintien en centres villes des citadins les moins aisés.
Leurs métiers et leur façon de vivre nécessitent moins d’espace que les activités traditionnelles comme l’industrie, la logistique ou la distribution, souvent situées en périphérie, comme c’est le cas par exemple de l’usine Airbus à Toulouse.
Gilles Saint-Paul a analysé dans son étude 49 zones urbaines dans l’hexagone.
- Il a intégré de nombreuses données comme la présence de logements sociaux, la part des habitants dans les services, la part des travailleurs dans la nouvelle économie, le prix des logements, la couleur politique, ainsi que le taux de diffusion du tramway et le Vélib.
- N’ont pas été retenus d’autres critères comme la nourriture bio ou la décoration intérieure.
Il différencie trois scénarios en termes de répartition urbaine de population active et d’impacts sur la politique de la ville.
1) Domination des cadres en centre-ville
Les représentants des activités traditionnelles vivent majoritairement en centre-ville.
- Ils souhaitent des infrastructures de transport efficaces permettant d’effectuer des trajets rapides du centre à la périphérie.
- Cela se traduit par des choix collectifs tels que des voies sur berge, des tunnels ou encore les axes rouges, initiés sous Jacques Chirac, et ayant représenté 27 kilomètres dans la capitale.
2) Les bobos débarquent
Plus le revenu d’un ménage est élevé, plus celui-ci est prêt à payer pour profiter des aménités du centre-ville.
Ici, les bobos deviennent majoritaires dans les centres-villes, occupés auparavant par les cadres. Ils y arrivent grâce à une augmentation de leurs salaires plus rapide que celle des autres catégories de travailleurs, notamment du fait du développement de l’économie de la connaissance.
Comme les bobos travaillent dans un secteur qui nécessite peu d’espace et ont moins besoin de se déplacer en périphérie, cela entraine que :
- Les infrastructures de transports deviennent moins prioritaires.
- L’espace ainsi libéré est alors consacré à des usages plus récréatifs (Paris Plage).
- La hausse du prix des logements, liée à l’arrivée des bobos qui ont du pouvoir d’achat immobilier, tend à chasser de nombreux cadres du centre-ville.
- Le prix des services en centre-ville augmente, car les commuters peu qualifiés, qui vivent en périphérie, demandent une compensation salariale, pour continuer à effectuer de longs déplacements.
3) La bunkérisation
Ici, les travailleurs les moins qualifiés réinvestissent le centre-ville et offrent leurs services aux bobos.
- Leurs frais de transport diminuent, mais le coût élevé du loyer se répercute sur le prix des services.
- Dans ce scénario, la totalité des cadres a quitté la ville.
- Et les municipalités sont poussées à augmenter la proportion de logements sociaux et HLM.
Pour Gilles Saint Paul, intervenant dans les Echos «Ces remarques permettent de mieux comprendre l’engouement des municipalités de gauche pour la « mixité sociale » et les logements sociaux en centre-ville, malgré le coût élevé de ce type de politiques si on les compare à des logements équivalents situés en périphérie».
Titre original de l’article académique : “Bobos in Paradise : Urban Politics and the New Economy”
Publié dans : PSE Working Papers n°2015-34