Bien immobilier, produit de placement, œuvre d’art… Le droit de la propriété permet la séparation de la pleine propriété initiale entre la nue-propriété et l’usufruit. Et en matière patrimoniale, ce principe du démembrement de propriété donne accès à plusieurs opportunités. Avantages et précautions.
Quand vous détenez un bien en pleine propriété, qu’il soit immobilier ou mobilier, vous avez acquis : l’abusus, l’usus et le fructus. C’est-à-dire respectivement la nue-propriété pour le premier terme et l’usufruit pour les deux suivants. Autrement dit, d’un côté vous avez un droit de détention et de cession par vente, legs ou donation, voire même de destruction du bien. Et d’un autre côté, un droit d’utiliser le bien et de percevoir des revenus issus de cet usage. Ce qui inclut aussi les frais d’entretien et de réparation le cas échéant.
Lorsqu’il est décidé de démembrer la pleine propriété, cela revient à séparer la nue-propriété et l’usufruit, qui sont alors détenus par deux personnes physiques ou morales distinctes. Cette séparation est forcément limitée dans le temps, d’où le terme d’usufruit temporaire. Une durée fixée librement par les parties qui permet de déterminer la valeur de nue-propriété et de l’usufruit. Plus celle-ci est longue, plus la valeur de l’usufruit est élevée et celle de la nue-propriété baisse.
Cependant, l’usufruit ne peut pas valoir moins de 23 % de la valeur de la pleine propriété et excéder celle établie pour le viager. D’ailleurs, ce dernier est le seul démembrement de propriété sans limite de temps. Là, c’est l’âge de l’usufruitier qui est pris en compte. C’est un point important car le droit de nue-propriété et celui d’usufruit peuvent être cédés par chaque partie qui les détient et à tout moment. De même, les investisseurs trouvent un net avantage avec l’acquisition de la nue-propriété au lieu de la pleine propriété. Il faut toutefois prévoir quelques précautions et sécurités pour que le retour à la pleine propriété conserve de l’intérêt.
Le démembrement de propriété immobilière
Le secteur de l’immobilier regroupe une grande partie des situations de séparation de pleine propriété. Cela tient à des raisons de succession. Ainsi, lorsqu’un époux vient à disparaître, le conjoint survivant peut disposer de l’usufruit temporaire de la résidence principale. Ceci doit avoir été prévu dans le testament ou le contrat de mariage. Concrètement, les enfants héritent de l’habitation mais ils ne peuvent pas l’utiliser. C’est le conjoint survivant qui acquiert ce droit, et ce jusqu’à son décès. Ce n’est qu’à cette issue que les enfants retrouvent la pleine propriété.
Le viager est un cas particulier de démembrement. Il consiste à vendre son bien tout en conservant l’usage (usufruit) jusqu’à son décès. Là, l’acheteur (nue-propriété) devient plein propriétaire du bien. Cela lui permet de payer une partie de la valeur du bien à la conclusion du contrat (le bouquet) et de verser des loyers réguliers par la suite (la rente à vie). De son côté, le vendeur perçoit un capital immédiatement, puis des mensualités régulières, à la façon de revenus fonciers. Toutefois, en théorie, le montant total versé ne doit pas dépasser la valeur estimée du bien. Pour cela, il est appliqué un calcul tenant compte de l’espérance de vie du vendeur. D’ailleurs, l’administration fiscale applique une grille spécifique pour la répartition de la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit :
Âge de l’usufruitier | Valeur de l’usufruit | Valeur de la nue-propriété |
91 ans et + | 10 % de la pleine propriété | 90 % de la pleine propriété |
de 81 à 90 ans | 20 % de la pleine propriété | 80 % de la pleine propriété |
de 71 à 80 ans | 30 % de la pleine propriété | 70 % de la pleine propriété |
de 61 à 70 ans | 40 % de la pleine propriété | 60 % de la pleine propriété |
de 51 à 60 ans | 50 % de la pleine propriété | 50 % de la pleine propriété |
de 41 à 50 ans | 60 % de la pleine propriété | 40 % de la pleine propriété |
de 31 à 40 ans | 70 % de la pleine propriété | 30 % de la pleine propriété |
de 21 à 30 ans | 80 % de la pleine propriété | 20 % de la pleine propriété |
20 ans et – | 90 % de la pleine propriété | 10 % de la pleine propriété |
Il existe une troisième façon d’utiliser le démembrement en immobilier : l’achat immobilier locatif. C’est financièrement avantageux, vous investissez uniquement entre 50 à 70 % de la valeur du bien. Entre contrepartie, vous acceptez que l’usufruit du bien soit confier à un exploitant pendant une durée de 15 à 20 ans, qui va le louer, percevoir les loyers et assumer l’ensemble des charges pour entretenir le bien. On parle d’usufruit temporaire. Au terme de la période, vous retrouvez la pleine propriété du bien. Libre à vous de continuer à le louer ou de le céder. Dans ce dernier cas, le calcul de la plus-value s’établit sur le prix de la pleine propriété initiale et non la valeur de la seule nue-propriété. Au total, vous avez économisez la valeur de l’usufruit non payée au départ, qui est considérée comme un dédommagement de la durée d’attente pour pouvoir être pleinement propriétaire. Le bien immobilier peut être une habitation, mais aussi un local professionnel : bureau, commerce, entrepôt, espace médical, hôtel, forêt…
Le démembrement de titres et produits de placement financier
La séparation de la nue-propriété et de l’usufruit s’applique également aux parts sociales d’entreprises cotées ou non, à un compte-titre, une assurance vie… Le principe est analogue à celui de l’investissement locatif avec l’usufruit temporaire. C’est l’usufruitier qui assure en principe la gestion, encaisse les gains et assument les pertes. Cependant, il peut entraîner des conflits entre nu-propriétaire et usufruitier – notamment sur les choix d’investissement ou la dépréciation des actifs -, mais également entre l’usufruitier et l’administration fiscale – en particulier le calcul de la plus-value. Aussi, la seule séparation de la pleine propriété n’est pas suffisante.
Il paraît souhaitable de signer une convention où l’usufruitier s’engage effectivement à gérer seul (sans obtenir l’accord du nu-propriétaire) les titres, le compte-titre ou l’assurance vie, à en recueillir les gains ou les pertes, mais aussi à respecter la composition initiale des actifs. En effet, le droit dit que l’usufruitier ne doit pas porter atteinte à la composition des actifs. Aussi, pour tracer tous les arbitrages effectués et pouvoir se justifier en cas de contestation, il peut être utile d’ouvrir un compte d’espèce pour y verser les actifs qui doivent être réinvestis et un second compte pour y virer les gains réalisés. L’autre solution peut être aussi de confier à un tiers, la gestion des actifs démembrés : on parle de gestion pilotée. Elle évite toutes ces difficultés car, pleine propriété ou pas, il s’agit d’une gestion pour compte de tiers avec délégation des arbitrages. La question du démembrement ne vient donc pas perturber les choix d’investissements. Elle est même neutre, seuls les paramètres administratifs alourdissent un peu le quotidien.
Les œuvres d’art
Si vous êtes amateur de peintures, sculptures et autre expression artistique y compris littéraire ou musicale, les biens acquis ou créés peuvent eux aussi voir leur droit de propriété démembré, quand bien même ils ne soient pas pris en compte dans le calcul de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). En effet, deux situations majeures trouvent réponse avec cette technique patrimoniale. D’un côté, il s’agit de permettre à une personne tierce de profiter de l’œuvre. Par tierce personne, il faut comprendre une personne physique, une entreprise, une association, un musée, une salle d’exposition… De cette façon c’est l’usufruitier qui prend en charge l’assurance, le transport et la conservation du bien. Il s’agit là d’un moyen astucieux pour aider à la création d’espace d’exposition permanent ou temporaire, et mettre à la disposition de tous, la ou les œuvres concernées.
D’un autre côté, il y la donation aux descendants, non pas de l’usufruit mais de la nue-propriété – démarche qui fonctionne aussi pour un bien immobilier ou des titres de sociétés, etc.. Comme les droits de donation vont être calculés sur la valeur de la nue-propriété, il vaut mieux réaliser l’opération avant 60 ans. C’est-à-dire tant que la nue-propriété ne vaut pas plus de la moitié de la valeur du bien (application de la grille de répartition du viager). Reste la valeur estimée du bien pour déterminer les montants de la nue-propriété et l’usufruit. Pour éviter tout litige en particulier avec le fisc, mieux vaut opter pour la valeur dite vénale : le prix appliqué si le bien était vendu au moment du démembrement de propriété.