Apparue dans les années 1960 aux Etats-Unis, la titrisation revient peu à peu en grâce en France, après un léger effacement, dû à la crise des subprimes. Cette crise sans précédent a marqué les esprits, puisque les acteurs financiers ne savaient plus où étaient logés les risques, d’où une perte de confiance contagieuse. La donne a changé. Opération attrayante pour les institutionnels à la recherche de rendements pérennes, la titrisation reste avant tout « un outil de financement de la croissance ».
Une méfiance exagérée envers la titrisation
Induit parfois en erreur par la presse généraliste, souvent poussée à faire des raccourcis, le commun des mortels pense souvent que ce mécanisme financier constitue un produit toxique, inventé récemment par des traders avides (Greed) et sur-diplômés. Il est parfois confondu avec les dérivés de crédit, une innovation récente moins lourde administrativement.
Ce sont principalement les dérives de la titrisation des années 2000, qui ont amené certains établissements financiers à en oublier les principes fondamentaux.
Malgré sa réputation sulfureuse, la titrisation constitue sans conteste un moyen privilégié de financer l’économie réelle, notamment par ce que les banques y puisent des ressources complémentaires pour accroître leurs engagements, notamment dans un contexte où les autorités de régulation leur demandent plus de fonds propres.
La titrisation est un mécanisme ancien, qui a fait ses preuves. Dans la conjoncture actuelle, elle permet de financer le poste client à un coût parfois très compétitif. Les investisseurs privés y trouvent un moyen de diversifier leurs actifs, à une période où le coût de l’argent n’a jamais été aussi bas.
Il est temps de redécouvrir tous les atouts de la titrisation.
La titrisation en quelques chiffres clés
- 1 406 milliards d’euros
C’est le montant des encours que représente la titrisation en Europe.
- 73%
Ce chiffre représente la part des actifs sous la forme de prêts immobiliers et de prêts à la consommation aux particuliers titrisés en Europe. On voit bien ici que ce dispositif donne de la fluidité au circuit bancaire.
- 181 milliards d’euros de nouvelles émissions en 2014
D’après la Banque de France , la plus grande attention désormais apportée à la qualité des actifs sous-jacents a permis un assainissement du marché : après avoir culminé à plus de 700 milliards d’euros en 2008, les émissions de titrisation en Europe ont atteint un niveau plancher d’environ 150 milliards d’euros en 2013, avant de rebondir en 2014.
Échaudés, les Européens privilégient la qualité. L’encours de produits titrisés européens se concentrait majoritairement en 2013 sur des sous-jacents de bonne qualité ou faisant l’objet de garanties étatiques : les prêts immobiliers aux ménages belges, néerlandais, allemands et britanniques (38%), auxquels il convient d’ajouter les prêts à la consommation ou liés à l’achat d’une automobile (14% environ).
Soutenir les entreprises
D’après la Banque de France, la part des PME dans l’encours des produits titrisés européens est demeurée stable durant la période 2008-2013 (7-9%), les montants absolus suivant la même courbe décroissante que l’ensemble. On comprend bien la nécessité de réamorcer la pompe.
La Commission Européenne plaide ainsi de plus en plus pour un retour de la titrisation comme un outil de relance économique. Elle y voit un moyen de dynamiser le marché du crédit aux entreprises, notamment pour mener à bien leurs projets d’investissement. Dans son rapport publié en octobre 2013, « Global financial stability report », le FMI était sur la même longueur d’onde.
Les analystes de Crédit Suisse estimaient fin 2014 que les banques de la zone euro pourraient titriser leurs créances vis-à-vis des entreprises à hauteur de 440 milliards de dollars. De quoi leur permettre d’ouvrir davantage les vannes vis-à-vis des petites et moyennes entreprises.
Une technique à peaufiner
Bien que la titrisation représente un outil intéressant pour refinancer un portefeuille de crédits immobiliers résidentiels ou commerciaux (si les banques restent vigilantes sur les critères d’octroi des crédits) ou des créances commerciales d’entreprises, la titrisation semble moins adaptée à l’endroit des PME.
- L’analyse du risque de défaillance d’un ménage, qui s’endette avec un crédit hypothécaire, ne pose pas de problèmes insurmontables, en analysant tout simplement ses niveaux de revenus et de charges.
- A l’opposé, estimer avec le même degré de certitude le risque de crédit d’un portefeuille de plus de 2 000 prêts octroyés à des PME ne s’improvise pas. L’évaluation du risque de crédit d’un tel portefeuille ne pourra pas être définie de façon analytique, mais essentiellement statistique, avec les risques que cela suppose en cas de dégradation brutale de l’économie, de nouveautés fiscales ou de tensions internationales.
- Bien qu’il soit possible de ressortir les principaux ratios d’un tel portefeuille, cela ne sera pas suffisant, chaque secteur et entreprise affichant des particularités, difficiles à modéliser.
Le crowdfunding se jette à l’eau
Apparus comme des champignons, de nouveaux acteurs, qui drainent avec succès sur Internet des capitaux non négligeables, cherchent à accroître leur force de frappe en allant sur le marché. Face aux besoins de financement des agents économiques, notamment les ménages, certaines plateformes de la finance participative commencent ainsi à s’engouffrer dans la brèche de la titrisation.
En voici quelques exemples :
- Sofi, spécialisé sur les prêts aux étudiants, a émis une première titrisation de 150 millions de dollars en 2013 notée par DBRS.
- BlackRock (société d’investissement américaine) vient de placer une opération de titrisation de 327 millions de dollars, adossée à des prêts accordés en ligne par la plateforme de financement participatif américaine Prosper Marketplace. Selon Moody’s, le niveau de pertes nettes attendues s’élèverait à 8%.
Des risques non encadrés
Reste à savoir si la titrisation d’un portefeuille de financement peer to peer à des PME pourrait rencontrer le même succès.
- Ces prêts participatifs sont souvent octroyés à de très jeunes sociétés en phase de développement, voire en création. Ces dernières ont sans doute été parfois écartées par le système bancaire traditionnel, qui dispose de grilles de risques bien éprouvées. La foule, qui agit parfois selon un « coup de cœur », est-elle en mesure d’évaluer mieux les risques de défaut que les établissements spécialisés ?
- Dans ce type de transaction, il serait intéressant de connaître le niveau du rendement qui satisfasse toutes les parties.
- En transférant leurs risques, les crowdlenders seront tentés de faire du volume, une tactique peu sélective qui n’a pas porté chance, c’est bien connu, aux banques américaines avec les subprimes.
- A terme, l’écart des taux d’emprunt entre les grandes entreprises et les PME, qui n’ont pas accès au marché, peut-il vraiment se réduire grâce à ce truchement ? Rien n’est moins sûr, chacun devant prendre sa part du gâteau.
- certains observateurs s’étonnent également de revoir les agences de notation sortir du bois pour jeter leur dévolue sur cette nouvelle classe d’actifs. Leur intervention ne signifie en aucun cas que le système est encadré.
Chez Carte Financement, sans critiquer l’innovation financière, nous estimons actuellement manquer encore de recul pour évaluer à sa juste valeur ce type de transfert, compte tenu du risque particulier associé aux PME.
Il peut sembler hardi de multiplier ce type d’opérations dans le secteur du crowdfunding, qui nous semble par certains aspects encore immature.
Avec le risque, en cas de défaillance spectaculaire ou d’excès, de mauvaise publicité pour l’industrie du prêt participatif. Et de créer par là même un facteur de fragilité, sinon un risque systémique, qui se retournerait au final contre ses initiateurs, issus du monde réel, à savoir la foule et les PME.